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La téléphonie mobile sous le règne de la sécurité ou de la précarité

En 2017, un opérateur téléphonique gabonais a rencontré un sérieux problème technique : pendant environ deux semaines, ses clients sur l’ensemble du territoire ne pouvaient plus joindre les numéros appartenant aux autres réseaux nationaux et internationaux. Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que, après m’être renseigné, j’ai découvert qu’un incident d’une telle ampleur ne serait jamais arrivé en France. Au pire, il est déjà arrivé des coupures d’une ou deux heures maximum, ou des incidents localisés à un petit bout de territoire, mais jamais rien d’aussi grave. Comment est-ce possible ? Comment se fait-il que des entreprises qui fournissent le même genre de service puissent être si différentes dans leur exposition aux risques techniques ? D’autant plus qu’en 2017, les 4 gros opérateurs de téléphonie mobile en France se partagent presque 65 millions d’habitants, alors que les 4 opérateurs du Gabon ne s’en partagent que 2…

La coercition culturelle à l’œuvre

A mon sens, la réponse à cette question est principalement d’ordre culturel. Contrairement aux opérateurs de téléphonie mobile gabonais, les français exercent leur activité sous le règne de la sécurité, et cela change tout. Le risque de panne, en effet, existe partout. Ce qui va changer, ce sont les moyens qui sont mis en œuvre pour s’en prémunir. Si un type d’incident n’arrive jamais dans une population donnée, c’est qu’elle s’en protège suffisamment. Et si elle s’en protège suffisamment, si rien ne vient contrarier ni remettre en cause cet effort de sécurité qu’elle s’impose à elle-même (avec tout ce que cela implique de ressources dépensées), c’est parce qu’elle considère qu’un tel incident est inacceptable. Cet effort est réalisé sous le poids d’une injonction qui ne peut être que culturelle pour être aussi forte : ici, on voit clairement la coercition culturelle à l’œuvre.

Considérations juridiques

En France, un opérateur de télécom a des engagements contractuels précisant qu'il doit être capable de résoudre un problème de gravité X en un délai Y :

Dans une société où la loi et les règlements ont un poids culturel lourd, un opérateur est obligé par la coercition culturelle de mettre en place les protocoles permettant de tenir ces engagements. Et bien sûr, il répercute ces mêmes engagements sur ses fournisseurs, prestataires et partenaires afin que ses efforts internes ne soient pas rendus vains par une faille extérieure. Ces derniers, bien sûrs, sont soumis à la même coercition culturelle. Cette exigence se retrouve aussi au niveau de l’Etat qui, en tant que signataire des contrats et garant de la sécurité, a mis en place une autorité de régulation des télécoms. L'ARCEP (c'est son nom) suit le respect des engagements pris par les opérateurs.

Considérations techniques et managériales

Pour répondre à ces impératifs juridiques, les opérateurs investissent dans différentes solutions qui, par complémentarité, permettent de rendre le risque quasiment nul :

L’image de marque

Le règne de la sécurité impose aux opérateurs français de ne jamais s’autoriser la moindre défaillance qui, du coup impacterait très négativement leur image de marque. Ils y sont donc très attentifs. Ainsi, lorsque ça arrive à petite échelle, on constate les comportements suivants :

On comprend, sur cette base, que les opérateurs investissent tant pour éviter les incidents à grande échelle.

Et au Gabon ?

Au Gabon en particulier, et en Afrique en général, les opérateurs de téléphonie mobile ne sont pas soumis au règne de la sécurité et ne sentent par conséquent pas peser sur eux l’obligation de mettre en place toutes ces mesures de protections contre les pannes. Certains peuvent le faire par choix individuel, mais on comprend du coup pourquoi des incidents graves peuvent survenir chez les autres.

Et puis contrairement à la France, c’est le poids des habitudes qui fait force de loi au Gabon. Quand des techniciens ont pris l’habitude de voir que tout fonctionne bien au quotidien sans trop en faire au niveau de la sécurité, pourquoi changeraient-ils leurs façons de faire ? Tant que l’incident ne survient pas, tout va bien…

La chose la plus difficile à voir est la paire de lunettes qu’on porte devant les yeux. (Martin Heidegger)