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Introduction

Qu’est-ce qui fait force de loi ? La loi elle-même, les codes, les règlements ? Dans les cultures occidentales, oui, de façon générale. Mais en Afrique, au quotidien, l’habitude et les usages sont souvent bien plus forts que la loi.

Le poids des habitudes pèse sur les mentalités africaines de la même façon que le poids des normes règlementaires pèse sur les mentalités occidentales.


Publié le 01/09/2016

Lois et règlements

Le fait d’avoir une perception rationnelle ou irrationnelle des choses est très déterminant sur cette question : la loi est un outil de rationalisation dans la mesure où elle est sensée s’appliquer à tous de la même façon et contenir en elle-même les variations possibles dues aux circonstances. Il est donc cohérent que la loi ait force de loi dans les cultures qui privilégient une perception rationnelle des choses. Par ailleurs, une disposition de loi peut facilement être portée et rappelée à tous par un mécanisme rationnel simple, comme un panneau, une affiche, un slogan bien choisi et largement diffusé… Une loi peut aussi être imposée par un protocole ou un automate, comme une barrière ou un radar automatique, un badge électronique…

De plus, les lois ont un rôle particulier dans les cultures sous allégeance fonctionnelle : elles permettent, et c’est essentiel, de déterminer les responsabilités de chacun selon sa fonction, et donc de démontrer ensuite qu’il les assume correctement ou pas. Autrement dit, les lois permettent à chacun de vérifier qu’il occupe bien, ou pas, sa place dans la société.

On parle ici de toutes les formes de lois : lois juridiques, lois morales, lois religieuses, règlements intérieurs… A partir du moment où une loi est considérée comme légitime, elle est globalement acceptée et respectée par tous. Même ceux qui ne la respectent pas dans leurs actes la reconnaissent dans sa légitimité et admettent le fait qu’elle puisse être appliquée contre eux. Le code de la route est un exemple classique : certains automobilistes en contestent certaines dispositions, beaucoup commettent des fautes et des délits sur la route, mais personne ne conteste la légitimité de ce règlement. Au contraire, chacun est très attaché à ce que son bon droit soit reconnu lorsqu’il conduit en conformité avec le code de la route.


Publié le 01/09/2016

Habitudes et usages

Au Cameroun, la Constitution c'est une décoration.

Cette petite phrase en dit long sur la perception qu'ont les camerounais de cette loi qui revêt pourtant une importance particulière, surtout quand on sait que je l'ai entendue de la bouche d'un professeur de droit camerounais qui a précisément participé à sa rédaction...

Quand on a une perception irrationnelle des choses, la loi a quelque chose de froid, de rigide, de sévère. Elle peut être bien perçue dans la façon dont elle règlemente un aspect particulier de la vie de la cité, mais elle est souvent mal perçue quand il s’agit de l’appliquer à des personnes. De plus, elle est souvent considérée comme distante, dans la mesure où elle prend la forme de textes qui sont gardés dans des temples symboliques que sont les tribunaux et les gouvernements. Même mis à disposition dans une bibliothèque, un livre de loi est peu accessible : trop volumineux, trop obscure dans son vocabulaire et ses tournures de phrase, trop complexe pour les non-initiés…

De plus, et c’est très important, elle entre en contradiction avec l’allégeance relationnelle qui accompagne généralement une perception irrationnelle des choses. On ne tisse pas de relation avec une loi. Et bien souvent, quand on commence à en tisser une avec les personnes qui sont sensées la représenter ou la faire respecter, c’est là qu’on commence à s’en écarter… Au mieux la loi ne sert qu’à résoudre les conflits où les relations sont déjà endommagées au point que les personnes concernées ne peuvent plus s’entendre. Et généralement, la loi résout les conflits en donnant raison à l’un des adversaires et tord à l’autre. Ce dernier, du coup, perd la face, ce qui est encore plus pénalisant pour les relations. A l’inverse, les habitudes renforcent les relations car elles sont contenues non pas dans des textes, mais dans des personnes. Je dirais même qu’elles se nourrissent des relations : elles permettent de normaliser les comportements individuels parce qu’elles sont partagées par tous. Ainsi, elles ne jouent pas seulement un rôle de règlement, elles constituent également un ciment social fort. Et quand un conflit survient, les habitudes ne constituent pas un obstacle à ce qu’il soit réglé de telle manière que tout le monde y trouve son compte. Ainsi les relations sont préservées et les habitudes font sens avec l’allégeance relationnelle.

Une habitude, ça ne s’écrit pas, ça se connait. Ca ne s’enseigne pas, ça se transmet d’une personne à une autre aux gré des relations. Souvent la transmission se fait par l’exemple et reste non verbale. C’est en tout cela qu’elle est irrationnelle, et donc particulièrement appréciée des gens qui ont une telle perception des choses. Evidemment, cette irrationalité pose souvent problème : quand une personne ignore une habitude particulière, il lui est difficile, en toute bonne foi, de la respecter d’une part, mais aussi simplement d’en prendre conscience.

Reprenons l’exemple du code de la route. A Libreville, qui s’en soucie ? Pas plus les policiers que les automobilistes. La priorité à droite ? De quoi parlez-vous ? A chaque carrefour, la priorité dépend… des habitudes. Y compris dans les rond-points, dont certains se prennent à l’envers. Il m’est arrivé une fois d’être arrêté par un policier parce que j’en avais pris un à l’endroit. Il prit très pédagogiquement le temps de me montrer comment il faut circuler ici en s’appuyant sur l’exemple incontestable des autres voitures qui prenaient effectivement ce rond-point à l’envers. J’ai probablement bien fait ce jour là de ne pas lui parler du code de la route… Quant à la signalisation, elle est souvent manquante ou défaillante, comme les feux rouges dont la plupart ne fonctionnent plus depuis longtemps. Mais là encore, qui s’en soucie ? Puisque ce sont les habitudes qui déterminent le comportement des automobilistes, à quoi bon financer des infrastructures dont le rôle est de faire appliquer une loi ?

A Yaoundé, les feux rouges fonctionnent la plupart du temps. Mais là encore, selon les endroits ou selon les jours, il faut les respecter ou pas. Un dimanche après-midi, je m'arrête à un feu rouge non loin de l'ambassade de France. Les autres automobilistes m'ont sévèrement claxonné ! L'un d'entre eux s'est même arrêté à ma hauteur pour me demander, avec un certaine agressivité à la limite de l'insulte, de redémarrer. Visiblement, s'arrêter à ce feu le dimanche après-midi, ce n'est pas dans les usages...

Dans certaines situations, la prédominance des habitudes est particulièrement compliquée à gérer, par exemple lorsqu’il s’agit d’une habitude propre à une entreprise mais qui est sensée être appliquée par ses clients.

Pour passer du Gabon au Cameroun par la route, il faut faire tamponner son passeport dans le dernier commissariat gabonais avant la frontière, qui se trouve dans une petite ville à une cinquantaine de kilomètres du pont reliant les deux pays. Mais comment sait-on qu'il faut s'arrêter dans ce commissariat ? Comment sait-on que ce cachet ne peut pas être donné au poste frontière ? Et bien on n'en sait rien, car rien ne l'indique nul part. Une fois arrivé à la frontière et après avoir été repoussé par le policier de service, on fait donc demi-tour pour aller faire tamponner son passeport (100 km allé-retour, donc). Après, on a l'habitude...

En juin 2014 à Libreville, je déménage de mon appartement et doit donc résilier mon contrat d’électricité auprès de la société qui en gère la distribution : la SEEG. A cette occasion, je suis sensé récupérer la caution de plus de 100 000 F CFA (plus de 150 €) que j’avais déposé à l’ouverture de l’abonnement en question. A l’agence, on me fait remplir des formulaires et on me prévient qu’il faudra attendre une dizaine de jours pour récupérer la caution, le temps que mon compteur soit relevé une dernière fois pour solder mon compte. Je retourne à l’agence 15 jours plus tard et apprends que le compteur n’a pas encore été relevé. Un mois plus tard, même chose. Mais c’est à ce moment là seulement que la dame qui me reçoit m’explique qu’en fait, habituellement, les clients relèvent eux-mêmes leur compteur pour que ça aille plus vite… Effectivement ce n’est que 2 mois après que j’ai enfin récupéré ma caution.


Mis à jour le 13/12/2017

Cohabitation entre lois et usages

Lorsque les habitudes ont force de loi, le recours à cette dernière est souvent compliqué. En effet, on y verra souvent plus son côté froid et rigide que son caractère juste. Il est assez délicat de faire appliquer une loi dans un contexte culturel où les habitudes sont privilégiées, cela peut paraitre mesquin. C’est une façon de manifester de façon implicite, mais forte, qu’on préfère l’application froide d’un texte rigoureux à une relation à travers laquelle on pourrait se mettre d’accord en toute simplicité. Savoir à quel moment on peut faire référence à la loi et à quel moment il vaut mieux s’en abstenir n’a rien d’évident pour une personne habituée à respecter la loi sans se poser de question. De façon générale, la « règle » consiste à privilégier le plus possible les relations, et à ne recourir à la loi qu’en dernière limite, lorsque la situation a déjà pris une tournure négative.

Mais cette règle n’a rien d’évident à appliquer : car dans bien des situations, en particulier dans le cadre professionnel, le recours à la loi ne peut se faire que si elle a été suffisamment respectée auparavant. Que faire, donc, tant que tout va bien, sachant qu’il est quand même raisonnable d’anticiper les conflits qui finissent toujours par survenir ? C’est un challenge du quotidien, un équilibre à trouver entre les règlements et les relations… En général, la bonne qualité d’une relation facilite beaucoup l’application d’une loi, car elle favorise le dialogue nécessaire pour pouvoir l’expliquer jusqu’à la faire la admettre.


Publié le 01/09/2016

L’exercice de l’autorité

Dans quelque situation que ce soit, la légitimité du chef dépend directement de ce qui est prépondérant : si c’est la loi, le chef bénéficiera au moins d’une légitimité par défaut à partir du moment où il a accédé légalement à son poste. Si ce sont les habitudes et les relations qui sont prépondérantes, c’est sur elles que sa légitimité de chef sera fondée. Dans ce cas, un chef qui débute a intérêt à construire rapidement de bonnes relations avec ses subalternes, car ces derniers n’ont pas encore l’habitude de le voir à ce poste.


Publié le 01/09/2016

L’attachement aux traditions

Les cultures Africaines, qui sont sous la double influence du règne de la précarité et de l’allégeance relationnelle, accordent beaucoup de place et d’importance aux traditions. On voit bien ici la cohérence de l’ensemble : non seulement le règne de la précarité pousse ces populations à s’attacher à leurs traditions, mais leur préférence pour les habitudes y participent aussi fortement. Les traditions sont comme d’anciennes habitudes auxquelles elles tiennent souvent encore plus qu’à celles d’aujourd’hui. En plus d’être « habituelles », elles ont quelque chose de sacré, de l’ordre de la sagesse, qui rejoint aussi l’irrationalité ambiante.

Mais face à cet attachement aux traditions, dont on voit bien ici la cohérence culturelle, l’allégeance fonctionnelle des cultures occidentales impose plutôt une préférence pour l’innovation, pour une amélioration permanente qui pousse aux changements fréquents et à faire vite table rase des anciennes pratiques (même si leur ancienneté de remonte qu’à l’année dernière). De nombreux chocs culturels trouvent ici leurs racines :

Juin 2016, dans les locaux de la Délégation de l’Union Européenne à Libreville. Depuis 4 ans qu’elle travaille ici Carole, Italienne, enrage pour la énième fois contre ses collègues gabonaises. Une fois de plus elle aurait voulu changer la façon de traiter certains dossiers. Rien de révolutionnaire, il s’agissait juste de gagner un peu en efficacité, d’y passer un peu moins de temps, de diminuer un peu le risque d’erreur et finalement, de simplifier la vie de tous les collègues concernés. Mais on lui a retourné cette phrase qui n’a l’air de rien, mais qui, en l’occurence n’en finit plus de l’exaspérer : « on a toujours fait comme ça ».


Publié le 01/09/2016

Le cas des services de télécommunication au Gabon

Au Gabon, le mode le plus courant de consommation des services de télécommunication est celui du crédit prépayé : vous achetez des minutes de téléphone que vous consommez au gré de vos appels, ou des heures ou des jours de connexion internet décomptés à partir de votre première connexion. Cette façon de faire est très populaire car elle est accessible au plus grand nombre : chacun consomme selon ses moyens et tout le monde a prit l'habitude de suivre sa consommation sur son téléphone portable et d'aller le recharger de temps en temps.

Mais il y a un détail très pénible avec internet : autant ce mode de consommation est pratique pour un usage au quotidien, autant il est inadapté pour un usage mensuel. Par exemple, si vous achetez du crédit internet pour 30 jours et que ceux-ci touchent à leur fin, vous ne vous souvenez plus à quelle date vous avez entamez votre consommation. Le résultat est que votre connexion est régulièrement coupée parce que vous avez oublié de la renouveler. Bien sûr, vous pouvez prendre soin de noter à chaque fois la date de renouvellement de votre abonnement, mais il suffit d'oublier une fois pour se faire avoir...

Et encore, là je ne parle que des fournisseurs d'accès internet classiques... Le problème est encore plus gênant chez les opérateurs de téléphonie mobile. Je vais prendre l'exemple d'un opérateur gabonais que j'appellerai Ivoire pour l'occasion. Chez Ivoire, vous pouvez vous connecter à internet depuis votre smartphone en consommant votre crédit téléphonique. C'est pratique ponctuellement. Si vous voulez vous connectez plus régulièrement, vous pouvez prendre un petit forfait à 5000 F CFA pour un mois. Comme ça vous gardez votre crédit téléphonique pour téléphoner, c'est mieux. Sauf que quand votre forfait internet est épuisé, vous restez connecté et c'est de nouveau votre crédit téléphonique qui est débité. Débité à votre insu car évidemment, vous ne vous souvenez toujours pas de la date à laquelle vous avez recharger l'abonnement internet de votre smartphone.

Il y aurait une solution très simple pour résoudre ce problème ou au moins l'atténuer largement : que chaque opérateur envoie un mail automatique à ses clients 2 ou 3 jours avant l'expiration de leur abonnement, pour les inviter à le renouveler avant l'interruption du service ou avant que leur crédit téléphonique ne soit entamé par leur connexion internet. Ca ne leur coûterait quasiment rien et ça rendrait facilement un service très sympathique à leurs clients. Et bien non, aucun opérateur n'a cette attention, même après que je leur en ai fait la suggestion. Pourquoi ?

Prendre soin de leurs clients serait tout à fait à leur avantage. Pourquoi ne le font-ils pas, alors que par ailleurs, ces entreprises dépensent beaucoup d'argent en communication pour valoriser leur image et recruter de nouveaux clients ? Une étude menée en 2016 par l’agence de communication Aco Design Afrique sur les banques gabonaises montre qu'elles manquent fortement de culture client. Il semble bien que ce phénomène ne se limite pas aux banques. Qu'est-ce qui peut l'expliquer ?

Le poid​s de l'allégeance relationnelle.

Un client dont la relation n'est établie avec l'entreprise que via son smartphone ou son ordinateur, c'est une personne avec qui il est difficile de tisser une relation interpersonnelle. La relation n'est plus que commerciale, virtuelle. Dans une culture où les relations sont prioritaires, cela constitue un véritable obstacle à prendre soin d'eux.

Le poids des habitudes.

En devenant populaire grâce à sa forte compatibilité avec les réalités culturelles et économiques du marché local, le modèle du crédit téléphonique prépayé est devenu une habitude. Dans une culture où l'on est très attaché aux habitudes, s'en défaire est compliqué. La coercition culturelle crée une sorte d'obstacle inconscient à les remettre en cause. Ici on voit bien comment les entreprises dont je parle dans mon exemple ont du mal à sortir de ce modèle habituel pour en imaginer un autre plus adapté au nouveau service qu'ils proposent.

Une dernière petite précision.

Au Gabon, il y a une entreprise proposant des services par abonnement mensuel qui pense à prévenir ses clients quelques jours avant leur interruption, mais il s’agit d'une société française…


Publié le 01/09/2016

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La chose la plus difficile à voir est la paire de lunettes qu’on porte devant les yeux. (Martin Heidegger)