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Question d’apparence

Il y a une chose que j’ai remarqué aussi bien en Haïti qu’au Gabon, au Burkina Faso, au Mali, au Bénin, au Cameroun… Les gens aiment être bien habillés.

L’habillement

Bien sûr, de partout les gens font attention à leur tenue, mais dans les cultures sous allégeance fonctionnelle, le vêtement a un rôle pratique : on le choisit en tenant compte de la météo et de ce qu’on veut ou doit faire.

Dans les cultures africaines, l’habillement a clairement un caractère relationnel, beaucoup plus que fonctionnel, rien d’étonnant sous le règne de l’allégeance relationnelle. En effet, bien s’habiller, être avenant, c’est une pratique qui favorise tout à fait les relations. En disant quelque chose de la personne qui les porte, les tenues manifestent son désir (ou son absence de désir) de tisser des relations avec les personnes qu’elle rencontre. J’ai remarqué en particulier, que pour beaucoup d’africains, cette manifestation de désir est assimilée à une manifestation de capacité (financière surtout), ce qui suscite un certain désaveu envers celui qui est mal (ou pas suffisamment bien) habillé. C’est ainsi que même sous une chaleur et une humidité écrasantes, les hommes n’hésitent pas à porter pantalon, chemise à manches longues, veste et cravate. Et mieux encore, on m’en a souvent fait la remarque en Haïti et au Burkina Faso en particulier : un homme qui sort dans la rue en short ou en bermuda, ça ne se fait pas. La coercition culturelle locale interdit clairement de se comporter ainsi. Au Cameroun non plus ça ne se fait pas trop…

Ce n’est qu’au travail qu’ils optent pour des tenues beaucoup moins élégantes lorsque leurs taches, manuelles et salissantes, les y obligent. Mais même là l’idée d’une tenue fonctionnelle rencontre vite des limites, en particulier sur la question de la sécurité. J’ai recueilli plusieurs témoignages au Gabon de managers français qui se plaignaient que leurs ouvriers sont très négligents (voire têtus ! ) en ce qui concerne le port des équipements de sécurité, et ce malgré l’obligation inscrite à la fois dans les règlements intérieurs des entreprises et dans la législation gabonaise du travail. On retrouve ici une illustration classique du rapport aux lois et aux règlements dans ces cultures.

De la même façon, au Burkina Faso, où de nombreuses personnes circulent à moto, le port du casque est rarement pratiqué car... ça décoiffe ! On m'a même expliquéque le gouvernement a tenté il y a quelques années de le rendre obligatoire, mais que l'opposition populaire fut telle qu'il y a renoncé. Les moto-taxis de Yaoundé ou de Cotonou (les fameux zemidjans) ne porte pas plus de casque qu'à Ouagadougou. C'est un nouvel exemple très clair de la priorité qui est donnée, dans les cultures africaines, aux relations plutôt qu'à la sécurité.

Les voitures

Il en va un peu de même pour les voitures. En Afrique, d’un point de vue mécanique et sécuritaire, elle sont plus ou moins entretenues. Pour obtenir un certificat de contrôle technique à Libreville, inutile d’amener le véhicule concerné, la carte grise et un peu d’argent suffiront très bien. Par contre, la propreté d’une voiture, ça c’est important. Dans tous les quartiers des grandes villes comme dans les petites, il n’est pas difficile de trouver des « stations de lavage », certes artisanales, mais qui ne désemplissent jamais et qui font travailler plusieurs personnes à temps plein.

Les bâtiments

Parallèlement à cette question de l’apparence des personnes, se pose aussi celle de l’apparence des bâtiments. Sous le règne de l’allégeance fonctionnelle, l’enjeu peut paraitre basiquement le même : les lieux comme les tenues doivent correspondre à l’usage qu’on en a et aux circonstances dans lesquelles on les utilise. En Afrique, c’est nettement différent. Si la façon de s’habiller s’avère très importante, l’allure des bâtiments, elle, est au contraire peu importante. Je l’ai souvent constaté, les immeubles sont souvent mal entretenu sans que cela ne pose vraiment de problème à ceux qui les occupent, que ce soit pour y habiter ou pour y travailler.

A la maison, la seule pièce qui soit vraiment bien aménagée et entretenu, c’est le salon où l’on accueille les visiteurs et dont le rôle principal est donc de participer au tissage les relations. Au travail, c’est très aléatoire. La seule chose qui compte, c'est que soit respectée la hiérarchie. Mais pas forcément celle de l'entreprise ou de l'administration concernée, mais plutôt la hiérarchie sociale qui en découle. Si le poste qu'occupe une personne fait d'elle un "grand quelqu'un", alors son bureau doit manifester cette haute position sur l'échelle sociale : de préférence spacieux, bien aménagé, élégant et toujours propre. Mais d'autres collaborateurs peuvent avoir des postes à responsabilité mais qui ne les porte pas si haut. Alors ils seront, comme la plupart, logé dans des bureaux étriqués, encombrés de paperasse, avec du mobilier cassé et qu'ils devront peut-être partager avec des collègues.

En dehors de la question des bureaux, les bâtiments peuvent être flambant neufs ou très dégradés, d’une certaine façon, peu importe. Ainsi en va-t-il par exemple du Ministère des Transports de Libreville, ou du Ministère du Travail qui lui est adjacent : à l’intérieur comme à l’extérieur, les sols, les murs, les plafonds, les portes, les fenêtres, les couloirs, les escaliers… tout est très dégradé, depuis des années, et les fonctionnaires continuent d’y accomplir leurs taches, comme si de rien était. En 2014, le Ministère des Transports a connu 2 mouvements de grève de ses agents, mais leurs revendications principales étaient très éloignées de ces considérations. Le tribunal tout proche et d’autres ministères sont pourtant en meilleur état (et encore pas partout), pourquoi pas celui-ci ? L’état, bon ou mauvais, d’un bâtiment, est quelque chose qui résonne peu, qui n’est pas vraiment significatif dans une culture sous allégeance relationnelle. Dans bien des pays, seul le palais présidentiel est entretenu de près, sans doute pour la même raison qui fait que les grands directeurs ont de magnifiques bureaux, alors que leurs subalternes directs sont beaucoup moins bien logés malgrés leurs responsabilités parfois grandes et leurs revenus qui peuvent être élevés. Alors les choses sont comme elles sont et demeurent ainsi. Tant que tout cela ne nuit pas aux relations, c’est dommage, mais culturellement acceptable car ces considérations sont trop éloignées des priorités culturelles locales. Par contre, ce qui comptera dans un bâtiment, c’est la façon dont sont organisés les bureaux, et là encore, toujours sous la direction de l’allégeance relationnelle. On trouve ainsi des fonctionnaires ou des salariés travaillant à 3 ou 4 dans une pièce qui serait nettement plus confortable avec une ou 2 personnes seulement. Mais ils ne s’en plaignent pas, car ce manque de confort est largement compensé par le fait qu’il favorise très largement l’entretien des relations entre eux, bien plus que si chacun occupait seul son propre bureau.

Dans une autre administration de Libreville, j’ai carrément vu des fonctionnaires travailler dans un bout de couloir… En France, une telle situation serait volontiers considérée comme une « mise au placard », irrespectueuse des personnes concernés et, d’une façon ou d’une autre, ne pourrait pas durer sans faire scandale.

La chose la plus difficile à voir est la paire de lunettes qu’on porte devant les yeux. (Martin Heidegger)

Station de lavage auto à Abidjan
Station de lavage auto à Abidjan
La façade du Ministère du Travail à Libreville, dans un piteux état
La façade du Ministère du Travail à Libreville, dans un piteux état
Station de lavage auto à Cotonou
Station de lavage auto à Cotonou
Station de lavage auto au Tchad
Station de lavage auto au Tchad