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Au cœur du chaos

Mercredi 13 juin 2018, le journal Le Parisien fait sa une sur le déraillement la veille d’un train RER en France entre St Rémy les Chevreuses et Orsay. L’accident a été provoqué par un glissement de terrain dû à de fortes pluies.

Le gros titre, placé sur une photo du train couché sur la voie, est pour le moins alarmant : « au cœur du chaos ». En découvrant cette tribune, je pense immédiatement à un drame similaire qui a eu lieu le 21 octobre 2016 à Eseka au Cameroun. Le bilan officiel parlait alors de 79 morts et plus de 550 blessés. C’est donc avec une certaine inquiétude que j’entame cet article au titre apocalyptique, mais je découvre assez vite que le bilan de cet accident de RER n’est en fait que de 7 blessés légers… 7 blessés, ce n’est pas rien, mais quand même, parler de « chaos » avec un tel bilan, n’est-ce pas un peu exagéré ? Surtout dans un pays qui a connu dans les années précédentes des attentats extrêmement meurtriers où là, vraiment, un tel vocabulaire paraissait plus approprié. Qu’est-ce donc qui inspire à des journalistes d’employer dans cette situation un terme aussi fort ?

Est-ce une simple exagération individuelle de la part de l’auteur de l’article ? C’est possible, mais à ma connaissance, la une d’un journal n’est pas décidée par une personne seule. Et d’autre part, elle met en jeu à la fois une impulsion destinée à le faire acheter, et en même temps aussi sa crédibilité. Un titre un peu trop tapageur peut faire monter les ventes d’un numéro, mais nuire à la réputation du journal à plus long terme. Stratégiquement, c’est délicat, alors qu’est-ce qui a pu pousser le responsable éditorial du Parisien à prendre un tel risque ?

L'hypothèse culturelle

L’hypothèse qui me paraît la plus probable est d’ordre culturelle. Car si on peut considérer qu’un bilan de 7 blessés légers ne justifie peut-être pas de parler de « chaos », un accident comme celui-ci implique d’autres considérations. En effet, un accident, c’est la mise en évidence d’une faille de sécurité. Quelque chose a dysfonctionné. Un événement qui n’aurait pas dû survenir est survenu. Quelque chose d’anormal s’est produit. Et dans le contexte d’une culture dominée par l’allégeance fonctionnelle et le règne de la sécurité, un tel dysfonctionnement est bien plus grave et plus anxiogène par les réalités sous-jacentes qu’il met en lumière que par le nombre de victimes.

Dans une société où tout est sensé fonctionner, quelque chose qui ne fonctionne pas n’est pas acceptable. Dans une société où la sécurité se trouve en haut de l’échelle des valeurs, sa remise en cause est perçue comme une catastrophe. Dans ce contexte, on comprend pourquoi certains sont tentés de parler de « chaos ». Ce n’est plus si exagéré.

Le règne de la sécurité

L’association de cet accident et de cet article illustre bien à quel point la sécurité est une notion essentielle pour la société française. Elle constitue une norme à laquelle tous les membres de cette culture sont attachés aussi fortement qu’inconsciemment. Un accident comme celui-ci est anormal au sens premier du terme. On pourrait dire qu’un glissement de terrain, c’est la fatalité, on n’y pouvait rien. Au contraire. Une enquête a été ouverte et la RATP (la société en charge de la circulation des RER) a dû s’expliquer publiquement en détail sur ce qui s’est passé. Et un spécialiste de rappeler une fois de plus dans d’autres journaux que « le risque zéro n’existe pas », en précisant que l’ensemble du réseau est surveillé régulièrement par des agents et que des trains « de reconnaissance » circulent chaque matin à vide pour tester les voies avant le passage des trains de voyageurs. Ce même expert explique aussi que les dizaines de milliers de kilomètres de voies ferrées de France sont progressivement équipées de capteurs électroniques pour émettre des alertes afin de prévenir ce genre d’accident. Imaginez un peu l’ampleur de l’investissement financier, technologique et humain qui est consentit pour assurer la sécurité des trains en France. Vu d’un pays où la sécurité n’est pas une valeur aussi importante, un tel effort peut paraître disproportionné. A Yaoundé, les trains traversent les rues sans passage à niveau, sans signalisation, sans barrière… A la date où je rédige cet article, les premières infrastructures de ce type commencent à peine à être installées. Et les piétons arpentent les voies comme des rues ordinaires !

Tout le monde est d’accord pour dire que la sécurité est importante, mais elle n’est clairement pas une priorité dans toutes les cultures.

La chose la plus difficile à voir est la paire de lunettes qu’on porte devant les yeux. (Martin Heidegger)
Déraillement d’un RER entre St Rémy les Chevreuses et Orsay
Déraillement d’un RER entre St Rémy les Chevreuses et Orsay
Déraillement d’un train à Eseka au Cameroun
Déraillement d’un train à Eseka au Cameroun