Mercredi 16 octobre 2019. Le site ivoirien decideur.ci propose en téléchargement le troisième numéro de son magazine destiné aux dirigeants et aux DRH. Dans la forme comme dans le fond, cette publication a de quoi rivaliser avec ses équivalents occidentaux : le design et la mise en page sont très professionnels, le texte est rédigé sans faute (ou tellement peu s’il y en a qu’elles m’ont échappé), les visuels sont de qualité, les personnes interviewées sont des professionnels et des experts…
Sur la page d’accueil du site, en dessous du visuel permettant de télécharger le magazine, se déroulent des tweets dont les sujets, pour la plupart, correspondent à l’ambiance générale : économie, politique, social, actualité… Quelques exemples :
Et puis vient un tweet particulier qui reste dans le thème, mais se révèle culturellement plus marqué « Afrique » :
On notera ici l’usage du terme « maman » qui est une façon habituelle et très valorisante pour s’adresser à une femme en Afrique francophone (et plus généralement en Afrique).
Puis le tweet suivant bascule complètement dans l’irrationnel de la culture africaine :
Oui, « bénédiction ». Le plus intéressant ici est que l’auteur de ce tweet, Samuel Mathey, est un économiste togolais réputé, diplômé de deux universités américaines, qui a enseigné aux USA et en France à l’Université de Lorraine et à HEC Paris, qui a publié dans Capital et a été candidat au prix Nobel d’économie en 2018. Un économiste formé aux écoles occidentales dont on pourrait s’attendre à ce qu’il ait une approche très rationnelle des choses, vu son expertise et son métier. Mais malgré son inculturation visiblement réussie dans des univers culturels occidentaux (national, universitaire, professionnel), il n’en a pas pour autant oublié ses racines africaines et son attachement à ce qui relève du spirituel. Il n’y a donc aucun problème pour lui, à employer un vocabulaire religieux dans ses tweets et sur sa page Facebook au milieu de publications professionnelles. D’ailleurs, un de ses tweets précédents parle directement de confiance en Dieu et de Jésus qui franchit les portes verrouillées…
Quelques mois plus tard, en févier 2020, c'est cette fois-ci sur LinkedIn que je lis cette publication :
After much prayer, conversations and deliberations with the board of Capital Operating Partners, and the Chair of the board, my brother Thiong’o Munene, I have today communicated to the board and Thiong’o my decision to join Capital as Managing Partner, Executive Director and CEO effective immediately.
Traduit en Français :
Après beaucoup de prières, de discussions et de délibérations avec le conseil d’administration de Capital Operating Partners et le président du conseil d’administration, mon frère Thiong’o Munene, j’ai communiqué aujourd’hui au conseil d’administration et à Thiong’o ma décision de rejoindre Capital en tant que Directeur Associé et PDG à compter de maintenant.
L'auteur de ce post s'appelle Mungai Munene. Il est kényan, et occupe donc maintenant le poste de PDG de Capital Operating Partners, cabinet de conseil en stratégique économique (capitaloperating.com).
Pour rappel, LinkedIn est un réseau social professionnel où il est tout à fait de bon ton pour un entrepreneur d’annoncer ce genre d’évènement. Faire référence à quelque chose de religieux y est par contre beaucoup plus rare. Affirmer qu'on a prié pour obtenir ou accepter un poste de haut niveau, cela ne se rencontre la plupart du temps que dans des publications rédigées par des africains. Mungai Munene a obtenu un MSc à Oxford, ce qui laisse à penser qu'il a acquis une certaine capacité à rationnaliser. Mais comme dans l'exemple de Samuel Mathey, il n'a pas non plus oublié ses racines africaines et sa perception irrationnelle des choses. Ces exemples illustrent bien l'idée que, contrairement à ce qu'un occidental pourrait croire à travers le filtre de sa propre culture, cette perception irrationnelle des choses très présente en Afrique n'est pas incompatible avec le business et ses réalités pourtant très rationnelles.