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La bonne idée de l’abonnement prépayé en Afrique

L'abonnement prépayé est un modèle économique judicieux en Afrique car il correspond mieux à la culture locale que le principe d’abonnement post-payé, très répandu en Europe : il rend plus concret l’achat de biens virtuels, comme du temps de communication téléphonique ou de connexion internet, des volumes d’électricité ou même d’eau. En effet, là où règne une perception irrationnelle des choses, ce qui est concret est beaucoup plus facile à appréhender que ce qui est virtuel. Et un client paie plus volontiers un produit ou un service qu’il comprend clairement.
Ces différents produits sont de ceux dont il est difficile de se faire une idée précise si on n’a pas, culturellement, l’habitude ou le besoin de précision en toute choses. Le temps, l’électricité, l’eau s’écoulent entrent les doigts sans qu’on puisse vraiment les saisir et encore moins les retenir. Et quand ils ne prennent plus la forme que d’un nombre sur une facture, leur virtualité devient excessive pour ceux qui sont mal à l’aise avec elle.

La virtualité des produits fournis par un réseau

On pourrait penser qu’un temps de communication n’est pas si virtuel que ça : après tout, 30 minutes, par exemple, c’est une quantité claire, non ? Oui, pour un client qui a une perception rationnelle des choses, et donc du temps, mais pas pour la plupart des africains. Et puis même si on le mesure, le temps reste quelque chose d’intangible. Si on ajoute à cela le fait que la valeur du temps de communication change au gré des promotions et selon qu’on l’utilise pour passer un appel sur le même réseau, sur un autre réseau national ou carrément à l’international, sa virtualité prend très vite toute la place.

De même, on pourrait penser qu’un volume d’eau est quelque chose de concret. Mais là encore, l’eau qui est vendue aux consommateurs se mesure en m3, alors qu’un ménage n’a pas du tout cette perception de l’eau qui coule à ses robinets. Pour un individu, un verre ou une bouteille d’eau, c’est concret, parce que ça appartient à sa vie quotidienne, contrairement au concept de m3. Du coup, une facture qui arrive en fin de mois avec un volume et un prix à payer a quelque chose d’inconsistant. Il y a une sorte de rupture entre la réalité vécue au quotidien et le prix qui est demandé en échange. D’autant plus que là encore, le tarif du m3 d’eau peut être progressif, pour encourager les consommateurs à ne pas gaspiller cette ressource précieuse.

Pour l’électricité, cette rupture est encore plus forte car l’énergie est, pour ainsi dire, encore plus intangible. Si on peut, à la rigueur, tenir en main un verre d’eau puisée au robinet, rien de tel n’est possible avec l’électricité. Du coup, là encore, recevoir une facture en fin de mois avec un nombre de kWH et un prix ne signifie pas grand chose pour la plupart des usagers africains.

Les problèmes liés à cette virtualité

Cette particularité culturelle suscite de nombreux problèmes, surtout lorsqu’elles sont mises en corrélation avec les difficultés économiques que rencontrent un grand nombre de personnes en Afrique. Accepter de payer une facture, c’est parfois difficile, mais ça l’est beaucoup plus lorsqu’on ne comprend pas clairement la réalité qui y est décrite. Inversement, refuser de payer une facture, c’est une façon de la désavouer. C‘est difficile aussi car cela comporte le risque de paraitre malhonnête, et surtout de se sentir malhonnête. Mais c’est beaucoup plus facile s’il existe un flou autour de la facture en question. Et le fait de ne comprendre que partiellement le produit facturé parce qu’il n’est pas concret génère justement un flou suffisant à ce que de nombreuses personnes adhèrent à l’idée de ne pas payer systématiquement leurs factures.

Par conséquent les fournisseurs d’eau ou d’électricité ont souvent du mal à obtenir le règlement de toutes les factures émises. En particulier, lorsqu’une facture est subitement plus élevée que d’habitude, quelle qu’en soit la raison.

A Ouagadougou en 2008, j’ai discuté un jour avec une dame qui a eu une fuite d’eau chez elle. Un robinet avait cédé pendant la nuit et l’eau s’était écoulée à gros débit pendant des heures avant qu’elle en prenne conscience et trouve un plombier. Evidemment, la facture d’eau qui a suivie était très supérieure au montant habituel et elle a tout simplement refusé de la régler. Elle s’est rendue d’elle-même dans une agence de l’ONEA (la société de distribution d’eau du Burkina Faso) et a expliqué qu’elle ne paierait pas. Son seul argument fut celui-ci : « la facture est trop élevée ». Ses interlocuteurs ont eu beau lui expliquer que la fuite relevait de sa responsabilité (ce qui est objectivement vrai, en l’occurence), elle n’a rien voulu entendre. Ce qui est intéressant dans cette situation, c’est qu’aucun agent n’est venu couper son compteur, alors que c’est bien sûr ce qui est prévu lorsqu’une facture reste impayée trop longtemps. Son argument a donc été accepté…

Si vous ajoutez à cela le fait que la délivrance des factures est souvent rendue difficile en Afrique à cause de la faiblesse des services postaux, des rues qui n’ont pas de nom et des pas de porte qui n’ont pas de numéro, vous comprendrez qu’il s’agit d’une problématique majeure pour les entreprises concernées.

La solution : revenir au concret

L’abonnement pré-payé, qui a fait depuis longtemps ses preuves un peu partout en Afrique constitue une solution très astucieuse à ces problèmes. Au Gabon ou au Cameroun, il est d’ailleurs rare de trouver des offres intéressantes d’abonnement post-payé pour téléphone mobile. Par contre, on peut acheter des unités d’électricité vendues sous la forme d’un code que l’on saisit sur son compteur. Ainsi, les clients peuvent acheter ces produits au fur et à mesure de leurs besoins et de leurs capacités financières. Et comme ils prennent souvent de petites sommes, il leur est beaucoup plus facile de comprendre ce qu’ils achètent. Si 37 kWH ne représente pas grand chose pour eux, 5000 F CFA d’électricité, ça, par contre, c’est concret. Si 30 minutes de communications, ce n’est pas suffisamment tangible, 2000 F de communication, ça, ça l’est.

Bien sûr, lorsque le crédit est épuisé, la distribution d’électricité ou l’appel en cours est interrompu automatiquement, et cela représente de nombreux avantages pour le distributeur :

L’économie est tout à fait significative, aussi bien sur le plan financier que sur les ressources humaines puisque qu’il n’y a plus besoin d’en affecter à la gestion des compteurs ou au recouvrement des factures. La limitation du risque de gaspillage est aussi très importante dans des pays où les coupures d’eau et d’électricité sont fréquentes et où les réseaux téléphoniques manquent parfois de fiabilité.

Quant aux clients, ils peuvent gérer leur électricité, leur eau et leurs communications de la même manière que leurs fruits ou leurs légumes. Cela devient concret et compréhensible sans effort. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’une telle méthode rencontre un vif succès. Elle est encore peu utilisée pour l’eau mais en ce début d’année 2017, une expérience est menée à Niamey auprès de 250 personnes par la société CityTaps, avec un taux de satisfaction de 100%.

La chose la plus difficile à voir est la paire de lunettes qu’on porte devant les yeux. (Martin Heidegger)
Compteur d'unités d'électricité
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